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Page:Crébillon (Fils) - Le Sopha.djvu/34

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LE SOPHA

longtemps qu’elle était toute aux réflexions dont Dahis lui avait fourni si ample matière, lorsqu’il lui arriva de quoi en faire de nouvelles.

« Un Brahmine sérieux, mais jeune, frais, et avec une de ces physionomies dont l’air composé ne détruit pas la vivacité, entra dans le cabinet. Malgré son habit de Brahmine, peu fait pour les grâces, il était aisé de remarquer qu’il était tourné de façon à donner des idées à plus d’une prude ; aussi était-il le Brahmine d’Agra le plus recherché, le plus consolant, et le plus employé. Il parlait si bien ! disait-on ; c’était avec tant de douceur qu’il insinuait dans les âmes le goût de la vertu ! Le moyen sans lui de ne pas s’égarer ! Voilà ce qu’en public on disait de lui ; on verra bientôt sur quoi en particulier on lui devait des éloges, et si ceux qu’on lui donnait le plus haut étaient ceux qu’il méritait le mieux.

« Cet heureux Brahmine s’approcha de Fatmé d’un air doucereux et empesé, plus fade que galant. Ce n’était pas qu’il ne cherchât des airs légers, mais il copiait mal ceux qu’il prenait pour modèles, et le Brahmine perçait au travers du masque qu’il empruntait.

— « Reine des cœurs, dit-il à Fatmé, en minaudant, vous êtes aujourd’hui plus belle que les Êtres heureux destinés au service de Brahma ! Vous élevez mon âme à une extase