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LE SOPHA

qui a quelque chose de céleste, et que je voudrais bien vous voir partager ! »

« Fatmé, d’un air languissant, lui répondit sur le même ton ; et, le Brahmine n’en changeant point, il s’établit entre eux une conversation fort tendre, mais où l’amour parlait une langue bien étrangère, et en apparence bien peu faite pour lui. Sans leurs actions, je doute que j’eusse jamais compris leurs discours.

« Fatmé, qui naturellement faisait assez peu de cas de l’éloquence, et qui, quoi qu’elle en dît, n’estimait pas beaucoup celle du Brahmine même, fut la première à s’ennuyer du sentiment. Le Brahmine, à qui il ne plaisait pas plus qu’à elle, le quitta bientôt aussi, et cette conversation si fade, si doucereuse, finit comme celle de Dahis avait commencé.

« Il est vrai cependant que Fatmé, en faisant les mêmes choses, était plus soigneuse des dehors. Elle voulait et paraître délicate, et que le Brahmine pût croire qu’elle ne cédait qu’à l’amour.

« Le Brahmine, qui, pour le caractère et la figure, ressemblait assez à Dahis, ne lui fut inférieur en rien, et mérita tous les compliments que lui prodiguait sans cesse la complaisante Fatmé. Après qu’ils eurent donné à leur tendresse ce qu’elle avait exigé d’eux, ils tournèrent la vertu en ridicule, s’entretinrent ensemble du plaisir qu’il y a à tromper les autres, et se firent mutuellement des leçons