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LE SOPHA

si clairvoyant dans le monde ! Elle entendait si bien Zulma ! La méchanceté des spectateurs ne pouvait-elle pas leur donner cette pénétration qu’elle ne devait qu’à l’amour ? Zulma était moins dangereux pour elle quand ils étaient seuls, puisque alors il savait être respectueux, et que devant des témoins il n’était pas assez prudent ; donc il ne fallait jamais le voir en compagnie que le moins qu’il serait possible.

« D’ailleurs, il était si triste quand il ne pouvait pas lui parler ! N’y avait-il pas trop d’inhumanité à le priver d’un plaisir que jusques alors elle avait trouvé si peu de risque à lui accorder ?

« Toutes ces raisons avaient déterminé Phénime, ou du moins elle le croyait, et elle fondait toujours soit sur les usages, soit sur des choses qui lui paraissaient aussi sensées, ce que l’amour seul lui faisait faire en faveur de Zulma.

« Ce jour même elle avait été extrêmement tentée de faire son bonheur ; elle s’était dit tout ce que peut se dire une femme qui veut se vaincre elle-même sur ce qu’elle oppose à son amour ; elle s’était exagéré la constance et les soins de Zulma, ce désir toujours si pressant qu’il avait de lui plaire : elle se souvenait même avec plaisir qu’il avait toujours mieux aimé être trompé qu’infidèle. Zulma d’ailleurs était jeune, spirituel, bien fait,