Page:Crébillon (Fils) - Le Sopha.djvu/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
LE SOPHA

tant qu’il l’aurait fallu pour le bonheur de Zulma, et plus elle se sentit émue, plus elle crut devoir lui cacher son trouble. Elle se mit donc au jeu, mais il lui inspira un ennui qui lui fit bientôt connaître que ce qu’elle avait imaginé contre Zulma était, pour elle, d’une bien faible ressource. Elle ne voulut pourtant pas croire d’abord que les dispositions où elle était pour lui causassent cette langueur dans laquelle elle se sentait, et, l’attribuant uniquement au jeu qu’elle avait choisi, elle pressa son amant d’en prendre un autre : il obéit en soupirant, et elle n’en fut pas moins tourmentée. Elle croyait regarder son jeu, et ne s’occupait que de Zulma.

« L’air pénétré qu’elle lui voyait, les profonds soupirs qu’il poussait, ses larmes qu’elle voyait prêtes à couler et que son respect pour elle semblait seul retenir encore, achevèrent d’attendrir Phénime. Soit qu’enfin elle fût confuse de l’état où elle se trouvait, soit qu’elle ne pût plus soutenir les regards de Zulma, elle appuya sa tête sur sa main. Zulma ne la vit pas plutôt dans cette attitude qu’il alla se jeter à ses pieds ; ou Phénime trop occupée ne le vit pas, ou elle ne voulut pas l’en empêcher. Il profita de ce moment de faiblesse pour lui baiser la main qu’elle avait libre, et il la baisa avec plus de transports qu’un amant ordinaire n’en éprouve en jouissant de tout ce qui peut le rendre heureux.