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LE SOPHA

je croyais si peu faites pour eux ; et quelques sujets qu’ils traitassent d’abord, ils retombaient toujours sur celui qu’ils auraient dû éviter. Moclès, de qui insensiblement ces discours avaient adouci l’humeur, venait chez Almaïde plus tôt qu’à son ordinaire, s’y amusait davantage, et en sortait plus tard. Almaïde, de son côté, l’attendait avec plus d’impatience, le voyait avec plus de plaisir, l’écoutait avec moins de distraction. Quand Moclès arrivait chez elle et qu’il y trouvait du monde, il y avait l’air contraint et embarrassé, et elle-même ne paraissait pas être plus contente. Enfin les laissait-on seuls, je remarquais sur leur visage cette joie que ressentent deux amants qui, longtemps troublés par une visite importune, ont enfin le bonheur de pouvoir se livrer à leur tendresse. Almaïde et Moclès s’approchaient l’un de l’autre avec empressement, se plaignaient de ce qu’on ne les laissait pas assez à eux-mêmes, et se regardaient mutuellement avec une extrême complaisance. C’était à peu près la même façon de parler, mais ce n’était plus le même ton. Ils vivaient enfin avec une familiarité qui devait les mener d’autant plus loin qu’ils s’étourdissaient sur ce qui l’avait fait naître, ou (ce que je croirais plus aisément) ne le pénétraient pas.

« Moclès, un jour, louait excessivement Almaïde sur sa vertu.

— « Pour moi, dit-elle, il n’est pas bien