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LE SOPHA

pas encore parvenues à cet âge heureux qui ne leur inspire pour nous que du respect, ou que nous sommes assez à plaindre pour avoir une figure qui nous expose à leurs désirs. Nous étions seuls ; je lui répondis selon les principes que je m’étais faits. Loin que ma réponse lui imposât, il crut que je cherchais moins à lui dérober sa conquête, qu’à la lui faire valoir ; il osa même m’assurer que je l’aimerais. Vous imaginez bien que je lui soutins fortement le contraire. Je ne sais avec quelles femmes vivait ordinairement cet étourdi ; mais assurément elles ne l’avaient pas accoutumé au respect. Il s’approcha de moi, et, me prenant brusquement entre ses bras, il me renversa sur un sopha. Dispensez-moi, de grâce, du reste d’un récit qui blesserait ma pudeur, et qui peut-être troublerait encore mes sens. Qu’il vous suffise de savoir…

— « Non, interrompit Moclès, vous me direz tout : c’est moins, je le vois (et ne le vois pas sans frémir pour vous), la crainte d’émouvoir vos sens ou de blesser la pudeur qui vous ferme la bouche, que la honte d’avouer que vous avez été trop sensible, et ce motif, loin d’être louable, ne saurait être trop blâmé. Je puis, je crois même devoir ajouter à ce que je vous dis, que s’il est vrai que vous craignez que le récit que j’exige de vous ne vous jette dans une émotion dange-