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Page:Crébillon (Fils) - Le Sopha.djvu/97

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LE SOPHA

l’humiliation de mon ennemi ; après l’avoir considérée avec tout le plaisir possible, et remercié intérieurement Brahma de la protection visible qu’il m’avait accordée, je me relevai avec violence. À mesure que mes sens se calmaient, et que mes idées devenaient plus claires, je sentais plus vivement ma honte. Vingt fois j’ouvris ma bouche pour charger ce jeune téméraire des reproches qu’il méritait : mais cette confusion secrète dont j’étais accablée me la ferma toujours, et après l’avoir regardé avec toute l’indignation que méritait l’insolence de son procédé, je le quittai brusquement. J’aimai mieux, à vous dire vrai, garder le silence que d’entrer dans des détails qui m’auraient fait rougir, et que la faiblesse dont je venais d’être capable me faisait craindre. Voilà, poursuivit-elle, la seule fois que je me sois trouvée dans ce danger que j’avais toujours craint avant que de le connaître, et que je n’ai connu que pour l’éviter avec plus de soin que jamais. Je me crus même d’autant plus obligée à le fuir, que je ne doutai pas, aux mouvements que j’avais éprouvés, que je n’eusse plus de penchant à l’amour que je ne l’avais cru.

— « Vous voyez bien, dit alors Modes, qu’il est important d’essayer son âme. Mais, à propos, comment va la vôtre ? Ce récit a-t-il fait sur vous les impressions que vous craignez ?