Page:Crébillon (Fils) - Le Sopha.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92
LE SOPHA

échapper à cet audacieux, ou pour le déranger du moins, tout y contribuait, tout achevait de me séduire. Perdue enfin dans des transports inexprimables, dans un ravissement dont il me serait impossible de vous donner l’idée, je tombai, sans force et sans mouvement, entre les bras du cruel qui me faisait de si sanglants affronts.

— « Quel état ! s’écria Moclès, et que j’en crains les suites !

— « Elles ne furent cependant pas telles que vous les imaginez, répondit Almaïde. Au milieu d’une situation dont j’avais d’autant plus à craindre que je n’en craignais plus rien, je ne sais pourquoi mon ennemi suspendit tout d’un coup sa fureur et ses entreprises. Par un prodige que je n’ai jamais pu concevoir, et que vous ne croiriez peut-être pas, tant il est extraordinaire, dans l’instant où je n’avais plus rien à lui opposer, et où lui-même paraissait au comble de l’égarement, ses yeux, dont je ne pouvais soutenir l’éclat et l’impression, changèrent ; une sorte de langueur, qui vint y régner, en bannit la fureur ; il chancela, et en me pressant dans ses bras, avec plus de tendresse et moins de violence qu’auparavant, il devint (juste punition des maux qu’il m’avait faits !) aussi faible que je l’étais moi-même. En ce moment mon trouble commençait à se dissiper, et je fus assez heureuse pour pouvoir jouir de toute