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LE SOPHA

de celle que la pudeur fait naître, des soupirs entrecoupés, de l’inquiétude, de la langueur ; tout m’apprit, mieux qu’elle ne le savait elle-même, la force de l’égarement dans lequel elle était plongée. J’attendais avec impatience ce que deviendrait la situation où deux personnes si sages s’étaient si imprudemment engagées. Je craignis même quelque temps qu’ils ne sentissent l’erreur où leur trop grande sécurité les avait entraînés, et que, dans des cœurs accoutumés à la vertu, elle ne fît pas tout le progrès que mon état et les promesses de Brahma me forçaient de souhaiter.

« Je crus voir enfin aux regards d’Almaïde et de Moclès, qui de moment en moment devenaient moins timides, et se chargeaient de plus de volupté, que c’était moins la crainte de succomber qui les retenait, que l’embarras d’amener leur chute. Tous deux étaient également tentés, tous deux me semblaient avoir le même désir et le même besoin de connaître. Cette situation, pour deux personnes qui auraient eu un peu d’usage du monde, n’aurait pas été embarrassante ; mais Almaïde et Moclès, loin de savoir l’art de s’aider mutuellement, n’osaient ni se confier leur état, ni se marquer, autrement que par des regards encore mal assurés, le feu dont ils se sentaient brûler. Quand même ils se seraient cru l’un à l’autre les mêmes idées, savaient-ils à quel point ils étaient séduits tous deux ? Quelle honte ne