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Page:Crébillon (Fils) - Le Sopha.djvu/100

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LE SOPHA

serait-ce pas pour celui qui parlerait le premier, s’il trouvait dans le cœur de l’autre quelques restes de vertu ; et comment pouvoir s’éclaircir, quand tous deux avaient tant de raisons de ne pas rompre le silence ? En supposant à Almaïde plus de faiblesse encore qu’à Moclès, elle n’en était pas moins forcée de l’attendre. À cette sagesse, dont elle avait toujours fait profession, se joignaient la pudeur et les bienséances de son sexe, qui ne lui permettaient pas de déclarer ses désirs ; et quoique pour toutes les femmes cette loi ne soit pas inviolable, Almaïde, ou tout à fait neuve, ou peu faite à la galanterie, craignait le mépris si justement attaché à une démarche de cette nature. D’ailleurs savait-elle comment Moclès la prendrait ? Peut-être, si elle eût été sûre qu’en la méprisant il eût voulu céder, se serait-elle étourdie là-dessus ; mais, s’il s’en tenait simplement au mépris ?

« Après qu’ils eurent agité quelque temps en eux-mêmes de quelle manière ils pourraient se parler sans s’exposer à la honte de ne pas réussir, Moclès, de qui un aveu formel de ses sentiments aurait trop blessé l’orgueil et l’état, crut qu’il ne pouvait mieux réussir que par le sophisme ; supposé cependant que le choix des moyens dépendît encore de l’examen qu’en pouvait faire sa raison, et qu’il ne cherchât pas encore plus à s’éblouir lui-même, ou à sauver sa gloire, en cas que