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Et que de notre hymen j'éteignis le flambeau.

Hiéron

Quel sort pour une reine à vos jours si sensible !

Rhadamisthe

Après ce coup affreux, devenu plus terrible,
Privé de tous les miens, poursuivi, sans secours,
À mon seul désespoir j'abandonnai mes jours.
Je me précipitai, trop indigne de vivre,
Parmi des furieux ardents à me poursuivre,
Qu'un père, plus cruel que tous mes ennemis,
Excitait à la mort de son malheureux fils.
Enfin, percé de coups, j'allais perdre la vie,
Lorsqu'un gros de romains, sorti de la Syrie,
Justement indigné contre ces inhumains,
M'arracha tout sanglant de leurs barbares mains.
Arrivé, mais trop tard, vers les murs d'Artaxate,
Dans le juste dessein de venger Mithridate,
Ce même Corbulon armé pour m'accabler
Conserva l'ennemi qu'il venait immoler.
De mon funeste sort touché sans me connaître,
Ou de quelque valeur que j'avais fait paraître,
Ce romain, par des soins dignes de son grand cœur,
Me sauva malgré moi de ma propre fureur.
Sensible à sa vertu, mais sans reconnaissance,
Je lui cachai longtemps mon nom et ma naissance ;
Traînant avec horreur mon destin malheureux,
Toujours persécuté d'un souvenir affreux,
Et, pour comble de maux, dans le fond de mon âme
Brûlant plus que jamais d'une funeste flamme
Que l'amour outragé, dans mon barbare cœur,
Pour prix de mes forfaits rallume avec fureur,
Ranimant, sans espoir pour d'insensibles cendres,
De la plus vive ardeur les transports les plus tendres.
Ainsi dans les regrets, les remords et l'amour,
Craignant également et la nuit et le jour,
J'ai traîné dans l'Asie une vie importune.
Mais au seul Corbulon attachant ma fortune,
Avide de périls, et, par un triste sort,
Trouvant toujours la gloire où j'ai cherché la mort,
L'esprit sans souvenir de ma grandeur passée,
Lorsque dix ans semblaient l'en avoir effacée,
J'apprends que l'Arménie, après différents choix,
Allait bientôt passer sous d'odieuses lois ;
Que mon père, en secret méditant sa conquête,
D'un nouveau diadème allait ceindre sa tête.