Je sentis à ce bruit ma gloire et mon courroux
Réveiller dans mon cœur des sentiments jaloux.
Enfin à Corbulon je me fis reconnaître :
Contre un père inhumain trop irrité peut-être,
À mon tour en secret jaloux de sa grandeur,
Je me fis des romains nommer l'ambassadeur.
Seigneur, et sous ce nom quelle est votre espérance ?
Quel projet peut ici former votre vengeance ?
Avez-vous oublié dans quel affreux danger
Vous a précipité l'ardeur de vous venger ?
Gardez-vous d'écouter un transport téméraire.
Chargé de tant d'horreurs, que prétendez-vous faire ?
Et que sais-je, Hiéron ? Furieux, incertain,
Criminel sans penchant, vertueux sans dessein,
Jouet infortuné de ma douleur extrême,
Dans l'état où je suis, me connais-je moi-même ?
Mon cœur, de soins divers sans cesse combattu,
Ennemi du forfait sans aimer la vertu,
D'un amour malheureux déplorable victime,
S'abandonne aux remords sans renoncer au crime.
Je cède au repentir, mais sans en profiter ;
Et je ne me connais que pour me détester.
Dans ce cruel séjour sais-je ce qui m'entraîne,
Si c'est le désespoir, ou l'amour, ou la haine ?
J'ai perdu Zénobie : après ce coup affreux,
Peux-tu me demander encor ce que je veux ?
Désespéré, proscrit, abhorrant la lumière,
Je voudrais me venger de la nature entière.
Je ne sais quel poison se répand dans mon cœur ;
Mais, jusqu'à mes remords, tout y devient fureur.
Je viens ici chercher l'auteur de ma misère,
Et la nature en vain me dit que c'est mon père.
Mais c'est peut-être ici que le ciel irrité
Veut se justifier de trop d'impunité :
C'est ici que m'attend le trait inévitable
Suspendu trop longtemps sur ma tête coupable.
Et plût aux dieux cruels que ce trait suspendu
Ne fût pas en effet plus longtemps attendu !
Fuyez, Seigneur, fuyez de ce séjour funeste,
Loin d'attirer sur vous la colère céleste.
Que la nature au moins calme votre courroux :
Songez que dans ces lieux tout est sacré pour vous ;