Page:Crébillon - Théâtre complet, éd. Vitu, 1923.djvu/254

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Scène II.

Zénobie

, seule.

Où vais-je ? Et quel est mon espoir ?
Imprudente ! Où m'entraîne un aveugle devoir ?
Je devance la nuit ; pour qui ? Pour un parjure
Qu'a proscrit dans mon cœur la voix de la nature.
Ai-je donc oublié que sa barbare main
Fit tomber tous les miens sous un fer assassin ? ...
Que dis-je ? Le coeur plein de feux illégitimes,
Ai-je assez de vertu pour lui trouver des crimes ?
Et me paraîtrait-il si coupable en ce jour,
Si je ne brûlais pas d'un criminel amour ?
Étouffons sans regret une honteuse flamme ;
C'est à mon époux seul à régner sur mon âme :
Tout barbare qu'il est, c'est un présent des dieux,
Qu'il ne m'est pas permis de trouver odieux.
Hélas ! Malgré mes maux, malgré sa barbarie,
Je n'ai pu le revoir sans en être attendrie.
Que l'hymen est puissant sur les coeurs vertueux !
On vient. Dieux ! Quel objet offrez-vous à mes yeux !



Scène III.

Zénobie, Arsame.
Rhadamisthe

Eh quoi ! Je vous revois ! C'est vous-même, Madame !
Quel dieu vous rend aux voeux du malheureux Arsame ?

Zénobie

Ah ! Fuyez-moi, Seigneur ; il y va de vos jours.

Rhadamisthe

Dût mon père cruel en terminer le cours,
Hélas ! Quand je vous perds, adorable Isménie,
Voudrais-je prendre encor quelque part à la vie ?
Accablé de mes maux, je ne demande aux dieux
Que la triste douceur d'expirer à vos yeux.
Le cœur aussi touché de perdre ce que j'aime,
Que si vous répondiez à mon amour extrême,
Je ne veux que mourir. Je vois couler des pleurs !
Madame, seriez-vous sensible à mes malheurs ?
Le sort le plus affreux n'a plus rien qui m'étonne.

Zénobie