Page:Crébillon - Théâtre complet, éd. Vitu, 1923.djvu/389

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

voulez-vous que je vous la ravisse ?
Voyez de vos soupçons jusqu'où va l'injustice ;
Je vous l'ai déjà dit, croyez que malgré moi
Je souscris aux bontés dont m'honore le roi,
Que par mon malheur seul je vous ravis l'empire.
Ah ! Seigneur, ce n'est pas au trône que j'aspire,
Mais ce n'est pas non plus à l'objet de vos voeux ;
Je sais trop respecter vos désirs et vos feux ;
Je sais que votre cœur soupire pour Barsine,
Qu'avec l'Égypte encore le roi vous la destine.
Ce n'est pas que l'objet dont mon cœur est charmé
Mérite moins, Seigneur, la gloire d'être aimé ;
Ce jour doit éclairer notre auguste hyménée ;
Daignez ne point troubler cette heureuse journée.
Sans offenser l'ardeur dont vous êtes épris,
Je crois, Seigneur, pouvoir vous nommer Amestris.

Darius.

Dieux cruels ! Jouissez du transport qui m'anime !
C'en est fait, je sens bien que j'ai besoin d'un crime.
Perfide ! Plus que tous contre moi conjuré,
Je puis donc désormais vous haïr à mon gré ?
Ô ciel ! Lorsque je crois, dans mon malheur extrême,
Pouvoir du moins compter sur un frère que j'aime,
Je viens, en imprudent, confier ma douleur
Au fatal ennemi qui me perce le cœur !

Artaxerce.

Ah ! c'est trop m'alarmer, expliquez-vous, de grâce,
D'un si dur entretien mon amitié se lasse ;
Ou calmez les transports d'un injuste courroux,
Ou si vous vous plaignez, du moins expliquez-vous.

Darius.

Avec ce fer qui fait le destin de la Perse,
Je suis prêt, s'il le veut, d'éclaircir Artaxerce ;
S'il est, autant que moi, blessé de vains discours,
Voilà le sûr moyen d'en terminer le cours ;
De l'amour outragé c'est l'interprète unique :
Entre rivaux, du moins, c'est ainsi qu'on s'explique.
Tant que vous oserez vous déclarer le mien,
N'attendez pas de moi de plus doux entretien.

Artaxerce.

Vous, mon rival ? Ô ciel !

Darius.

Mais un rival à craindre.

Artaxerce.