Page:Crébillon - Théâtre complet, éd. Vitu, 1923.djvu/396

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Je ne veux point ici justifier ma flamme,
Je sais par quels détours on a surpris votre âme ;
J'aimerais mieux mourir encore plus malheureux
Que de vous accabler d'un repentir affreux ;
Pourvu que, dans l'éclat de la grandeur suprême,
Vous ne méprisiez plus un prince qui vous aime,
Qui né pour commander un jour à l'univers,
S'honorait cependant de vivre dans vos fers.
J'irai sans murmurer, de mon sort déplorable,
Terminer loin de vous les jours d'un misérable.
Adieu, chère Amestris : quoi, vous versez des pleurs ?
Qu'une pitié si tendre adoucit mes malheurs !

Amestris.

Ah, prince infortuné, le destin qui t'accable
De tes persécuteurs n'est pas le plus coupable !
Pour prix de tant de soins, pour prix de tant d'ardeur,
C'est donc ton Amestris qui te perce le cœur ?
Qu'ai-je fait, malheureuse ! Et par quel artifice
A-t-on de tant d'horreurs rendu mon cœur complice ?
Ce cœur à tes désirs si charmé de s'offrir,
À tes moindres discours si prêt à s'attendrir,
Ce cœur qui, tout ingrat qu'il eût lieu de te croire,
Te gardait cependant la plus tendre mémoire,
Mais hélas ! aujourd'hui plus coupable à tes yeux
Qu'un ministre insolent, un roi faible, et les dieux !
C'est en vain que ton cœur absout le mien du crime,
Avec mon repentir ma fierté se ranime.
Ce n'est plus par des pleurs, et par de vains transports,
Que je puis contenter mon cœur et mes remords.
Viens me voir, toute en proie à ma juste colère,
Braver la cruauté de ton barbare père ;
Te jurer à ses yeux les transports les plus doux,
Malgré tout son pouvoir t'accepter pour époux ;
T'offrir de mon amour les plus précieux gages,
Ou du moins, par ma mort, expier mes outrages.

Darius.

Arrêtez, ma princesse ; ah, c'en est trop pour moi !
Je ne crains plus le sort, mon frère, ni le roi.
Laissez-moi seul ici conjurer la tempête ;
Je vais, à mon rival, disputer sa conquête ;
Ce cœur qui m'est rendu décide de son sort,
Son hymen désormais est moins sûr que sa mort.

Amestris.