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octave Crémazie.

Conciergerie, à deux pas de la cellule de Marie-Antoinette, le baron Gauldrée-Boilleau, dis-je, y donnait la main à l’abbé Ferland, pendant que Chauveau feuilletait les Samedis de Pontmartin ; J.-C. Taché discourait là à bâtons rompus avec son antagoniste Cauchon ; Fréchette et Lemay y venaient lire leurs premiers essais ; Gérin-Lajoie avec Alfred Garneau s’y attardait au sortir de la bibliothèque du parlement. Octave Crémazie, accoudé nonchalamment sur une nouvelle édition de Lamartine ou de Sainte-Beuve, tandis que son frère faisait l’article aux clients, jetait à de rares intervalles quelques réparties fines parmi les discussions qui se croisaient autour de lui, ou bien accueillait par un sourire narquois les excentricités de quelques-uns des interlocuteurs.

On était à l’époque des Soirées canadiennes ; la popularité dont cette revue jouissait à sa naissance avait répandu une vie nouvelle, pleine d’entrain et d’espérance, dans notre petite république des lettres. On avait foi dans l’avenir et on avait raison. La phalange des jeunes talents se groupait avec une ardeur fiévreuse autour des vieux maîtres, prête à tout entreprendre sous leurs ordres. Nature sympathique et ouverte, modeste comme le vrai talent, n’ayant jamais rêvé, pour son malheur, que lecture et poésie, toujours disposé à accueillir les nouveaux venus dans l’arène, Crémazie était le confident de chacun. Que de pas hésitants il a raffermis ! Que d’écrivains de mérite qui s’ignoraient et qu’il a révélés à eux-mêmes ! Personne n’a eu une plus large part que lui au réveil littéraire de 1860.