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octave crémazie

que c’était chose honteuse que de se tailler dans ses malheurs un manteau d’histrion. Dans mes œuvres, je n’ai jamais parlé de moi, de mes tristesses ou de mes joies, et c’est peut-être à cette impersonnalité que je dois les quelques succès que j’ai obtenus. Aujourd’hui que je marche dans la vie entre l’isolement et le regret, au lieu d’étaler les blessures de mon âme, j’aime mieux essayer de me les cacher à moi-même en étendant sur elles le voile des souvenirs heureux.

« Quand le gladiateur gaulois tombait mortellement blessé au milieu du Colisée, il ne cherchait pas, comme l’athlète grec, à se draper dans son agonie et à mériter, par l’élégance de ses dernières convulsions, les applaudissements des jeunes patriciens et des affranchis. Sans s’inquiéter, sans même regarder la foule cruelle qui battait des mains, il tâchait de retenir la vie qui s’échappait avec son sang, et sa pensée mourante allait retrouver et dire un dernier adieu au ciel de sa patrie, aux affections de ses premières années, à sa vieille mère qui devait mourir sans revoir son enfant.

« Tout à vous,
* *


Le plan du poème des Trois morts que Crémazie a esquissé à grands traits à la fin de cette lettre est tout ce qui reste de cette fantaisie qu’il choyait comme l’œuvre capitale de sa vie. Quoique l’idée et l’exécution de ce poème appartiennent bien à son auteur, il a