Page:Crémieux et Blum, Bagatelle.djvu/13

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BAGATELLE.

Je me disais… Ce sont des messieurs qui ont bien dîné… ça nous arrive quelquefois aux Champs-Elysées… Seulement je me demande toujours où ils peuvent si bien dîner que cela, dans le quartier… J’entre en scène, et je commence à chanter (Elle se lève et salue.) Mam’zelle Charlotte… tu sais ?…

FINETTE.

Oui, madame. (Fredonnant.)

Charlotte est bonne,
Charlotte est douce.
BAGATELLE.

C’est cela… mes regards rencontrent les quatre jeunes gens… et je les vois qui, cette fois, non contents de me faire la grimace, se mettent à remuer des petits bancs, à tousser… à se moucher… C’est comme ça que ces petites fêtes-là commencent… je connais le programme… Voilà l’émotion qui me galope, mais je veux lutter, et, de mon plus doux sourire, en me tournant vers mes ennemis, je dis : « Deuxième couplet… — Ah ! fait l’un ! — Charmant, fait l’autre ! » Ça y était, ma fille… j’entame mon couplet, avec une sueur froide, mais décidée à ne pas reculer d’un pas !

Charlotte est belle,
Charlotte est blonde…

« Charlotte m’embête, » crie un des jeunes gens ! Ah ! cette fois, c’est un rire général dans la salle… on applaudit. Mon jeune homme se lève et salue comme un notaire ! on se pâme ! une dame, — une amie à moi, bien certainement, — lui jette un bouquet, il le ramasse et le met sur son cœur. Les rires redoublent. Et moi, pendant ce temps, j’étais toujours sur la scène, le gosier sec et le front moite, continuant à balbutier :

Charlotte est pure,
Charlotte est sage.

Mais la lutte n’était plus possible… Pendant que je chantais, on criait bis !… la salle trépignait… celui-ci faisait le coq ! cet autre le chien ! c’était la tempête dans toute son horreur ! « Sortez de scène, me criait le chef d’orches-