Aller au contenu

Page:Crépet - Charles Baudelaire 1906.djvu/267

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ci-dessus, je me jetai dans le premier fiacre vide rencontré, rôdant aux abords de la Rotonde du Temple encore debout et tout près de laquelle je résidais en ce temps là. Dix ou quinze minutes après, rendu rue Flamande, j’avais gravi l’escalier en colimaçon d’une de ces vieilles bâtisses à ventre bombé, comme on en érigeait jadis sous le règne de j’ignore quel bon roi (bon est ici par euphémisme), et je heurtais à l’huis d’une vaste chambre, sise au troisième étage, où je devais être impatiemment attendu…

Le magicien es lettres, en effet, était chez lui, travaillant, selon son habitude, en manches de chemise, tout comme un manouvrier en pleins champs ou sur la voie publique. Une molle cravate de soie couleur de pourpre, à raies noires, négligemment nouée, flottait autour du cou robuste et bien attaché dont ce délicat était si fier î Rasé de près et luisant comme un sou neuf, il s’abandonnait dans son vaste déshabillé de toile aussi blanc que neige, d’une coupe très ancienne. À ma vue, il secoua, tout souriant, ses longs cheveux gris, un peu crêpelés, qui lui donnaient on ne sait quel air sacerdotal, et ses beaux grands yeux intelligents, « profonds et noirs comme la nuit », se fixèrent sur moi ; puis, sans mot dire, il repoussa loin de lui la page criblée de ratures sur laquelle il s’exerçait depuis plusieurs jours peut-être, et réunit religieusement une quantité de feuilles imprimées éparses sur sa table de travail ; ensuite, il me désigna de l’œil un grand fauteuil empire, ayant la forme d’une chaise curulc, en tous points semblable à celui sur lequel il était assis lui-même, et considéra voluptueusement ses mains de