Page:Crépet - Charles Baudelaire 1906.djvu/314

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

détestable. Un de ses grands plaisirs était de disputer avec les cabaretiers et leurs garçons. Il leur faisait subir des interrogatoires, les exaspérait par des questions, observations, distinctions ; dispustait pied à pied avec eux jusqu’à ce que, poussés à bout, ils lui fissent des scènes. « Monsieur, faites-vous la cuisine à la graisse ou au beurre ? Votre beurre est il bien frais ? Avez-vous d’excellent vin ? » —r « Espérez-vous, lui disais-je, qu’il vous réponde : Non, monsieur, j’ai du beurre rance et du vin frelaté ? ».Mais cet argument ne le touchait pas. En sortant, si l’on s’était bien chamaillé après avoir mangé de la ratatouille, il disait d’un air convaincu : « Eh bien, nous n’avons pas trop mal dîné ». Il avait les plus grandes prétentions à l’économie, à l’esprit de ressource. Un jour que nous n’avions que l\ francs à nous deux, il me démontra que nous pouvions diner par-fai-te-ment chez Katkomb et qu’il nous resterait encore i franc à chacun. Seulement, il mangea au dessert pour 3 francs de poires. C’est dans une de ces promenades qu’est arrivée la fameuse histoire du mouchoir, que j’ai tant racontée ; la voici. J’étais un jour enrhumé du cerveau, et nous nous promenions vers 5 heures, Baudelaire et moi sur le boulevard, quand, tout à coup, il voulut dîner ; c’était trop tôt ; néanmoins j’y consentis sous la condition d’aller préalablement chez moi changer de mouchoir. — « Eh bien, en sortant de* dîner nous irons chez vous… — Non ; ce mouchoir est hors d’usage. Je serais mal à mon aise ; passons chez moi. — Mais… si sale que soit ce mouchoir, il peut encore vous servir pendant le temps du diner. — Mais