Page:Crépet - Charles Baudelaire 1906.djvu/57

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faire le commerce des tableaux. Mais, pour ce dernier témoignage, peut-être convient-il de ne l’accueillir qu’avec circonspection. Non que la véracité de son auteur soit mise ici en doute ! Mais M. Hignard qui conclut, après une heure passée dans la conversation de Baudelaire et de ses amis : « J’étais comme un Ovide chez les Gètes, ne comprenant pas, n’étant pas compris », et encore : « Je sortis de là avec les plus tristes pressentiments sur l’avenir de mon pauvre ami », est-il bien sûr de n’avoir rien laissé percer de son étonnement ni de sa commisération ? Il faut se souvenir du goût passionné qu’apportait Baudelaire à la farce et à la mystification. Sa légende est beaucoup plus touffue que sa vie authentique.

De 1842 à 1845, Baudelaire mena une vie heureuse, remplie par l’amitié et l’étude.

Les notes de MM. Prarond et Buisson font une description très pittoresque et très piquante de ces parties quotidiennes où les après-midi passées dans la société de ses amis délassaient le poète du labeur de la matinée[1].

  1. M. Buisson confirme le témoignage de MM. Le Vavasseur et Prarond, qui nous révèle un Baudelaire souvent gai, dans sa première jeunesse ou, du moins, encore exempt de ces noires mélancolies qui firent plus tard son génie et son malheur :
    « On est en train de grossir Baudelaire et de le gourmer à la mode pessimiste. Ah ! je vous assure qu’en 1843, attablés à la Tour d’argent, dans l’île Saint Louis ou ailleurs, nous trouvions, l’Ecole normande et Baudelaire, que la vie valait la peine d’être vécue. Ne l’affublez pas trop en précurseur bien qu’il y ait eu, par le fait, un peu de cela en lui. Une nature poétique, rare, tant que vous voudrez, mais du précurseur, avec discrétion. »