Page:Crépet - Charles Baudelaire 1906.djvu/83

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Cette femme est la seule maîtresse en titre que ses amis aient connue à Baudelaire, qui fut toujours, même avec ses intimes, d’une extrême réserve sur ces

    «… Montrez-lui (à Jeanne) mon épouvantable exemple, et comment le désordre d’esprit et de vie mène à un désespoir sombre et à un anéantissement complet.Raison et utilité, je vous en supplie. »
    Sans trahir l’engagement pris envers le détenteur de cette fameuse lettre, je puis dire que son ton est grave, de la première ligne à la dernière, voire solennel, et qu’on n’a point le sentiment, à la lire, qu’on assiste au premier acte d’un mélodrame habilement composé. Cependant, à en croire M. Charles Cousin, qui n’en supprima le récit, dans ses notes du Charles Baudelaire (Pincebourde, 1872), que, sur la prière de Poulet-Malassis, la tentative désespérée du poète n’aurait constitué qu’une habile mise en scène destinée à impressionner le général Aupick, et à lui faire payer les dettes criardes de son beau-fils.
    Voici, d’ailleurs, en quels termes, Baudelaire, à peine guéri, — il s’était blessé à la poitrine avec un couteau, — et sans doute revenu à des idées plus humoristiques, aurait conté son suicide à Louis Ménard :
    « J’ai été rue de Richelieu dans un cabaret avec cette fille que tu connais ; j’ai enfoncé le couteau, mais je ne sentais rien ; puis j’ai été réveillé par un ronronnement : j’étais chez le commissaire de police qui me disait : « Vous avez commis une mauvaise action ; vous vous devez à votre patrie, à votre quartier, à votre rue, à votre commissaire de police. » Et Jeanne le calmait en criant : « Vous avez tort de lui dire cela ; s’il vous entend, je vous préviens qu’il est très brutal. » On m’a porté dans ma famille ; maman copiait mes vers ; mais cela ne pouvait durer : on ne boit chez elle que du bordeaux et je n'aime que le bourgogne. Je suis parti ; pour le moment, je suis sans domicile ; quand vient la nuit, je m’étends