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QUINZIÈME SIÈCLE.

Vous n’y avez chose vostre nes-une[1],
Fors les beaulx dons de grace et de nature.
Se Fortune donc, par cas d’adventure
Vous toult les biens que vostres vous tenez[2],
Tort ne vous fait, ainçois vous fait droicture[3],
Car vous n’aviez riens quant vous fustes nez.

Ne laissez plus le dormir à grans sommes
En vostre lict, par nuict obscure et brune,
Pour acquester richesses à grans sommes.
Ne convoitez chose dessoubz la lune,
Ne de Paris jusques à Pampelune,
Fors ce qui fault[4], sans plus, à créature
Pour recouvrer sa simple nourriture.
Souffise vous[5] d’estre bien renommez,
Et d’emporter bon loz[6] en sepulture :
Car vous n’aviez riens quand vous fustes nez.

Les joyeulx fruictz des arbres, et les pommes,
Au temps que fut toute chose commune,
Le beau miel, les glandes et les gommes
Souffisoient bien à chascun et chascune :
Et pour ce fut sans noise et sans rancune[7].
Soyez contens des chaulx et des froidures,
Et me prenez Fortune doulce et seure.
Pour vos pertes, griefve dueil n’en menez,
Fors[8] à raison, à point, et à mesure,
Car vous n’aviez riens quant vous fustes nez.

Se Fortune vous fait aucune injure,
C’est de son droit, jà ne l’en reprenez,
Et perdissiez[9] jusques à la vesture :
Car vous n’aviez riens quant vous fustes nez.



  1. Aucune chose à vous.
  2. Vous ôte les biens que vous tenez pour vôtres, que vous croyez être à vous.
  3. Mais au contraire, vous traite selon toute équité.
  4. Ce qui manque.
  5. Qu’il vous suffise.
  6. Réputation.
  7. Et c’est pourquoi l’on vivait sans querelle et sans haine.
  8. Excepté, sinon.
  9. Quand même vous perdriez.