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CHARLES D’ORLÉANS



Un excellent critique, dont les jugements et les pensées dépassent souvent les sujets qu’il traite, écrivait dernièrement : « Faut-il donc toujours sacrifier un talent à l’autre ? Le propre de tout ce qui est vraiment bon est de subsister en soi sans se détruire réciproquement et sans se nuire. » On ne saurait mieux penser ni mieux dire, et jamais peut-être cette justice, inclinée vers l’admiration de tout ce qui en est vraiment digne, n’a été plus à sa place qu’à propos de Charles d’Orléans. En effet, la critique n’a jamais voulu jusqu’ici le considérer en soi et dans ses véritables conditions ; on l’a toujours apprécié par comparaison ; tandis que les uns l’ont prôné, non pas outre mesure, mais à côté de la vérité, les autres le sacrifient sans pitié à l’un de ses contemporains, Villon, quoiqu’il n’ait de commun avec lui que l’époque où il a vécu. Pour l’abbé Sallier, qui l’a découvert, Charles d’Orléans est le père de la poésie française, ce qui est puéril ; notre poëte a une touche légère et personnelle qui lui interdit tout empire, car, s’il exprime d’une façon exquise ce qu’il veut rendre, il n’invente rien, et le charme qu’il possède est une qualité qui ne se lègue pas plus qu’elle no se dérobe. Pour d’autres, les qualités de Villon qui manquent à Charles d’Orléans, l’énergie du style et l’originalité des idées, assignent à celui-ci un rang tout à fait subalterne. Jugements aussi extrêmes et aussi injustes l’un que l’autre ; si l’un est un poëte énergique, l’autre est un poëte délicat ; tous deux ont une valeur de style, et celle qui convient à l’expression de leur pensée ; chez l’un, c’est le fond qui crée la forme, chez l’autre, c’est la forme qui donne une valeur nouvelle à des sentiments éternellement jeunes parce qu’ils renaissent éternellement. Il est donc aussi impossible qu’inutile de les comparer ; c’est même leur faire injure que d’essayer de les diminuer l’un par l’autre, et ce