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POÉSIES D’AMADIS JAMIN.

qui a fait dire cela ? Quelques vers d’une élégie de Jamin. Est-ce que les poètes ont besoin de voir un pays pour en parler ? Est-ce qu’il ne les avait pas parcourues, cette Grèce et cette côte grecque de l’Asie, dans l’Iliade et l’Odyssée ? Est-ce que nous n’avons pas entendu, de notre temps, un grand poëte dire à un ami qui allait en Espagne : Comment ferez-vous pour en parler, quand vous l’aurez vue ? Non, ce passage d’une élégie du poëte ne suffit pas pour prouver ces prétendues courses de par le monde ; et si nous tenons absolument à inscrire dans l’histoire que Jamin a voyagé, nous pouvons nous contenter de ces excursions qu’il fit très-certainement en Dauphiné, en Provence et dans le Poitou. Ces pérégrinations sont au moins vraisemblables, puisqu’on maint endroit il cite les villes où il séjourna, et que même il se plaint de la réception qui lui fut faite à Poitiers.

Ni les beaux vers, ni les bienfaits, ni l’admiration d’une cour et d’un peuple ne détournent le coup de la mort. Ronsard mourut et Amadis Jamin, après la perte de son bienfaiteur, ne voulut plus supporter ni Paris, ni la cour, ni la chambre ; ni l’intimité du roi. Il s’en retourna dans sa ville natale, et bientôt lui-même il y mourut, à peine âgé de quarante-cinq ans. Sa fortune qui avait été brillante, mais qui, hélas ! avait duré peu, il la devait aux lettres dont sa jeunesse avait été nourrie. Il ne fut pas ingrat envers ces fortes et généreuses nourrices. Il voulut qu’après lui elles vécussent, dans son pays, en grand honneur et grande aisance, afin que d’autres pussent venir leur demander, longtemps après, le secret de prospérer dans le monde et de se garder toujours en santé de cœur et d’esprit. Par testament, il laissa à la disposition des magistrats troyens les fonds nécessaires pour l’établissement d’un collège. Ainsi fit-il profiter la poésie du bien qu’elle lui avait fait gagner.

Jamin, avec beaucoup moins de verve et d’imagination que Ronsard, est souvent, plus que lui, correct, élégant, noble sans emphase. C’est le poëte honnête homme, scrupuleux, mais modéré et d’un souffle malheureusement trop uniforme. Ces vers d’une élégie adressée à M. de Pibrac le montrent sous son vrai jour d’inspiration sérieuse et bonne conseillère :


Mais vivans, révérons la cendre de nos pères,
Et pensons que là-bas nous tomberons comme eux,
Accablés sous le faix du tombeau ténébreux,
Et que ceux qui des vieux éteignent la mémoire
Méritent de mourir sans regret et sans gloire,
Indignes du nom d’homme et de respirer l’air.