Page:Créquy - Souvenirs, tome 1.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
97
DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

Breteuil, afin de la distinguer de sa cousine, qui est devenue Madame de Clermont-Tonnerre[1], ma cousine Émilie avait trois ou quatre ans de moins que moi, mais elle avait cinq à six pouces de plus. Son ami Voltaire a fait imprimer qu’elle était née en 1706, à dessein de la rajeunir de quatre ans, mais elle était née le 17 décembre 1702, ce qu’il est aisé de vérifier à la sacristie de Saint-Roch. C’était un colosse en toutes proportions. C’était une merveille de force ainsi qu’un prodige de gaucherie ; elle avait des pieds terribles et des mains formidables : elle avait déjà la peau comme une râpe à muscade ; enfin la belle Émilie n’était qu’un vilain cent-suisse, et pour avoir souffert que Voltaire osât parler de sa beauté, il fallait assurément que l’algèbre et la géométrie l’eussent fait devenir folle. Ce qu’elle avait toujours eu d’insupportable, c’est qu’elle avait toujours été pédante et visant à la transcendance en fait de compréhension, tandis qu’elle embrouillait tout ce qu’on lui mettait en mémoire et qu’elle en faisait une manière d’hochepot indigestible. Par exemple, elle nous demandait un soir avec un air moitié distrait et moitié préoccupé, ce qui était sa mine habituelle, et en rejetant son régime et son nominatif à la fin de ses phrases, ce qui était sa manière de procéder grammaticalement,

  1. Marie-Aline-Julie Le Tonnelier de Breteuil de Trésigny, femme de Charles-Henry, Comte de Clermont en Viennois et Connétable héréditaire du Dauphiné, Duc de Tonnerre, Marquis d’Espinac, etc. Elle est morte eu couches, en 1767, âgée de 56 ans.
    (Note de l’Auteur.)