Page:Créquy - Souvenirs, tome 1.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
123
DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

à l’autre extrémité de la vie, quand on se revoit sous des cheveux blanchis avec sagesse et dignité, on éprouve alors une émotion si tendre, si pure et si solennelle, qu’on n’y saurait certainement comparer aucun autre sentiment, aucune autre impression de l’humanité. Cette visite que me fit le Maréchal d’Écosse eut lieu en présence de Mme de Nevers, qui en fut émue jusqu’au fond des entrailles. Vous étiez né, mon cher petit-fils, et le Maréchal était devenu septuagénaire. — Écoutez, me dit-il, écoutez les seuls vers français que j’aie jamais faits, et peut-être les seuls vers de reproche qu’on ait jamais faits pour vous.

 
» Un trait lancé par caprice
» M’atteignit dans mon printemps.
» J’en porte la cicatrice
» Encor sous mes cheveux blancs.
» Craignez les maux qu’amour cause,
» Et plaignez, un insensé
» Qui n’a point cueilli la rose,
» Et que l’épine a blessé. »

Il était tombé sur sa joue vénérable, et de ses yeux si fiers, une ou deux larmes…

— Allez-vous déjà retourner auprès du Roi de Prusse ? lui dis-je ; serons-nous séparés pour toujours, et ne vous convertirez-vous point ? — Je suis et serai des vôtres après comme avant ma mort, me dit-il avec une simplesse admirable. Je vous ai trop aimée pour n’avoir pas embrassé votre religion, cette religion à qui vous avez eu la force de sacrifier ?… Mais, poursuivit-il en souriant, je suis devenu catholique ; et bon catholique, en esprit et en vérité !…