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SOUVENIRS

de tous ses contemporains[1]. Elle était riche à millions, celle-ci, et c’était par suite d’un legs qui lui était provenu de je ne sais quel prince grec, qui l’avait entrevue à Paris, et qui s’avisa de la faire sa légataire universelle en arrivant au Phanar, où il mourut quelque temps après[2]. Ne croyez pas qu’elle en fit part à sa famille, au moins ! Elle n’aurait pas voulu donner seulement une pistole à son neveu le pauvre Charles-Roger, parce que tout l’argent qu’on lui donnait, disait-elle, était habituellement pour lui une occasion prochaine de péché. C’est tout ce qu’elle savait de théologie. « La théologie n’est pas la science de tout le monde : les sots s’en embêtent et les mauvais s’en empirent. » J’ai souvent eu l’occasion de répéter ceci pendant toute ma vie, et surtout pendant les disputes sur le formulaire et sur le diacre Pâris.

Notre Lucrèce-Angélique se faisait appeler Mademoiselle de Constantinople, comme on aurait dit Mademoiselle de Chartres ou Mademoiselle de Blois. C’était sûrement là ce qui avait séduit l’Hospodar ? et cette étrange fille avait trouvé moyen de faire ainsi

  1. Lucrece-Angélique de Courtenay, née vers l’année 1640, morte à Paris, en 1699.
    (Note de l’Auteur.)
  2. Le nom de ce Prince grec était Démétrius Cantacuzène, et son oncle était Despote de Servie. On voit dans une note du Président Cousin que le principal motif de ses dispositions testamentaires en faveur de Mlle de Courtenay, avait été celui de soustraire sa fortune à la rapacité du fisc ottoman, en la mettant sous la sauve-garde de l’Ambassadeur de France à Constantinople.
    (Note de l’Éditeur.)