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SOUVENIRS

appeler son procédé), d’abattre tout doucement et de maintenir baissée le long de ma jupe, sans parler, mais assez longtemps pour me faire comprendre sa volonté, qui fut d’en rester là[1].

Nanon, l’importante et célèbre Nanon, vint dire quelque chose à l’oreille de sa maîtresse, et là-dessus nous vîmes arriver Madame[2], veuve de Monsieur, frère du Roi, à qui Mme de Maintenon fit avancer un fauteuil (après s’être levée pour la saluer), mais qu’elle avait attendue de pied ferme, à sa place, qu’elle reçut avec un air froid et sec comme vent de Nord-Est, et qu’elle ne reconduisit en aucune façon.

Cette. Princesse était fagotée comme une sorte d’Amazone, avec un pourpoint d’homme en drap galonné sur toutes les coutures ; elle avait la jupe assortie, la perruque en trois écheveaus, comme celle de S. M., avec un chapeau tout-à-fait semblable à celui du Roi, lequel chapeau ne fut ni dérangé ni soulevé par elle pendant qu’elle nous fit ses révéren-

  1. Aujourd’hui septidi de la troisième décade du mois de vendémiaire, an ix de la république française, j’ajoute ici ces lignes en arrivant des Tuileries, où le général Bonaparte m’a baisé la main. Il m’avait envoyé dire qu’il voulait me voir ; et il vient de me promettre la restitution de nos bois séquestrés. Je suis accablée de fatigue et d’affaiblissement ; mais j’écrirai, ou plutôt je dicterai les détails de cette singulière entrevue, si j’en ai la force et s’il m’en reste le temps. Je n’ai pu m’empêcher de songer que j’avais reçu précisément la même politesse du Roi Louis-le-Grand et de ce premier consul de la république, à quatre-vingt-cinq ans de distance.
    (Note de l’Auteur.)
  2. Charlotte de Bavière, mère du régent, morte en 1722.