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SOUVENIRS

minois possibles ; il avait une sorte d’esprit qui consistait à jouer sur les mots ; ils appelaient cela faire des calembourgs, et je n’ai jamais su pourquoi. Vous pensez bien qu’on ne le voyait pas dans un certain monde, mais il était la coqueluche des financières et les délices du foyer de l’Opéra. Il y disait un jour, à votre père, avec un air de fatuité familière : — J’espère, M. de Créquy, que vous me pardonnerez de ne pas vous avoir fait une visite pour le premier janvier : j’ai les visites en horreur, et je n’en fais jamais à personne ! — Mon petit Maréchal, lui répondit mon fils, heureusement pour ma mère et pour moi que monsieur votre père n’avait pas la même aversion !….

Je viens d’user encore une fois de mon privilège de grand’mère, en n’astreignant mes récits à aucun ordre chronologique, et vous faisant enjamber

    dam, où leur famille occupe encore un rang distingué dans la bourgeoisie municipale sous les noms de Bernard van der Grootelindt et de Bernard van Cromwyck. Il y a même eu des Pensionnaires de la République dans cette famille. Samuel Bernard, le millionnaire, était né dans la communion des calvinistes, et c’est parce que son père avait embrassé la secte d’Arminius qu’il avait été contraint à s’expatrier. Après avoir fait la banque avec un succès prodigieux et une probité notoire, Samuel Bernard (deuxième du nom) était de mon temps un vieux magistrat dont les habitudes étaient modestes et dont la bienfaisance était inépuisable. Il ne distribuait pas moins de vingt-cinq mille écus par an pour aumônes ou pensions charitables. Après sa mort, on a trouvé pour cinq millions de reconnaissances dont il avait raturé les signatures, et dont ses héritiers ne pouvaient exiger ni poursuivre la rentrée, en exécution d’un codicile à son testament. Ce généreux et vénérable homme est mort à Paris, en 1739, âgé de 89 ans.

    (Note de Madame de Créquy.)