Page:Créquy - Souvenirs, tome 1.djvu/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
237
DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

Quant au mobilier de son père et sa mère, il avait fallu pour le rassembler trois cents ans de faveur continue, un seizième siècle, un Connétable de Lesdiguières, et, sur toutes choses, il avait fallu une tutèle de femme, autant vaut dire une sollicitude de mère, à chaque génération pendant 180 ans. J’ai remarqué que les fortunes ne périclitent guère et qu’elles se rétablissent presque toujours sous la tutèle des femmes, qui, d’abord et de fondation, ne veulent jamais entendre parler de rien aliéner, et qui sont toujours en frayeur des gens d’affaire et en défiance contre les projets d’amélioration prétendue, pour peu qu’ils doivent coûter un peu d’argent. C’est leur ignorance de l’administration des biens qui les met en garde, et c’est leur méfiance qui sauve le patrimoine de leurs enfans. On m’a toujours demandé comment j’avais pu si bien rétablir la fortune de mon fils ? J’ai ménagé pour payer sans emprunter et sans vouloir écouter jamais les propositions des procureurs ou des intendans : voila ma recette et voilà toute ma science administrative.

Cette belle Duchesse était restée belle, et je n’ai vu dans nulle autre personne un extérieur, une attitude, une physionomie de distinction plus naturelle, avec une simplicité si noblement élégante. Il était resté dans toutes ses habitudes un air de préoccupation circonscrite et restreinte à ses affections, avec une sorte de nonchaloir et de gracieuse indifférence pour tout le reste. On voyait très-bien que la grande affaire de sa vie n’avait pas été celle de briller à l’extérieur et d’éblouir des yeux indifférens. On n’apercevait aucune trace, aucun reflet de prétention