Page:Créquy - Souvenirs, tome 1.djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
28
SOUVENIRS

der aux prières de son ami, le grand Bossuet, lequel était enseveli dans les caveaux de sa cathédrale de Meaux, il y avait déjà treize ou quatorze ans lorsque mon oncle mourut, en 1719. J’étais âgée, pour lors, de seize à dix-huit ans. Nous allons rétrograder de quelques années.

Entre sept et neuf ans, on m’avait conduite en litière à l’abbaye de ma tante, où je me trouvai d’abord un peu dépaysée, parce que je n’entendais et ne parlais que le patois manceau. Je n’avais jamais vu mon père, et la première fois que j’ai vu mon frère, il avait au moins dix-huit ans. Je n’ai jamais pu savoir depuis, ni qui l’avait élevé, ni ce qu’il était devenu pendant tout ce temps-là. Mon père me disait en riant que j’étais bien curieuse, et que c’était L’affaire de l’Evêque du Mans, qui s’était chargé de pourvoir à la bonne éducation de son neveu, dont il avait fait un jeune seigneur accompli. Enfin, mon frère se fît annoncer à l’abbaye de Montivilliers, où je le vis arriver en grand équipage avec une suite nombreuse et dans une parure éblouissante. C’était un garçon bien fait avec l’air assuré, qui ressemblait, trait pour trait, à cette belle figure du pasteur de Coustou, qui se trouve au coin de la terrasse de la Seine, auprès de la grille d’entrée sur le parterre des Tuileries. On aurait dit que c’était là son portrait, en antécédence et par prévision du sculpteur. J’avais donc un frère ! un frère aimable et charmant ! j’avais enfin le bonheur de le voir ; je le dévorais des yeux que j’avais remplis de larmes ; et lorsqu’il m’embrassa tendrement, j’étais bien heureuse en vérité ! Je me souviens qu’il