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SOUVENIRS

Je crois bien que dans une portion de ma famille, et du vivant de mon frère, on n’aurait pas mieux demandé que de me voir prendre le voile ; mais on avait, dans ma tante l’Abbesse et mon oncle l’Évêque, affaire à deux personnages qui n’entendaient pas composition sur les obligations de conscience et sur le chapitre de la vocation religieuse. M. du Mans avait toujours un œil ouvert sur toutes les professions qui devaient survenir dans les couvens de son diocèse, afin d’en écarter les pauvres filles intimidées par leurs familles, ou circonvenues par la captation des béguines, et ma tante avait fait sortir de son cloître une jolie novice qu’elle avait dotée pour aller épouser un Chevau-léger, parce qu’ils se mouraient d’amour. C’était une de nos parentes appelée Mademoiselle de Charette. Le jeune officier et sa novice étaient le neveu et la nièce de la Baronne de Montmorency, qui voulait absolument encloîtrer cette pauvre fille, et qui l’a déshéritée pour la punir d’avoir épousé son cousin, parce que celui-ci n’était qu’un Cadet de la maison de Clisson ! Cette raisonnable et charitable Baronne était janséniste, convulsionnaire, et l’amie intime du fameux Diacre Pâris, qu’elle assistait dans ses œuvres pies, et près duquel elle allait travailler continuellement à tisser de la grosse toile, et garnir des sabots avec de la peau de mouton ; tellement qu’elle en avait la peau des mains racornie, rougeâtre et durillonnée comme celle d’un manouvrier[1].

  1. Marie-Madeleine-Gabrielle de Charette, Marquise de Monthebert, de Charette et de Saint-Soliac, femme d’Anne-Léon,