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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

on l’emporte, afin qu’il n’y paraisse pas ; ensuite il vous attaque en justice, en disant que la haie n’est pas à vous, par la raison qu’elle est à lui. Ses témoins sont tous prêts à déposer qu’il y a fait ou fait faire une coupe de bois à telle époque, et si, par ignorance ou par négligence, vous ne l’avez pas fait poursuivre avant l’expiration de l’année pour le bois qu’il vous a volé, vous pouvez être assuré que vous perdez votre procès et que la haie lui reste en propriété. Comment voudriez-vous qu’avec de pareilles lois dans un pays si fertile et si plantureux, les malheureux paysans ne devinssent pas des fripons, ou tout au moins des chicaneurs ?

Je me souviens que dans une de mes promenades champêtres avec Mesdemoiselles d’Harcourt, je dis à une petite Normande de six à sept ans d’aller me chercher un mouchoir que j’avais oublié dans la cabane de son père, qui était un nourrisseux de bestiaux, et chez qui nous étions entrées pour boire du lait. Elle me répondit : — Mam’zelle, vous seriez p’têtre ben en peineue de l’prouvée — J’ai des témoins, lui dis-je, avec l’air triomphant, mais la petite Pimbêche sut bien nous faire entendre comme quoi le témoignage de Mesdemoiselles d’Harcourt ne me servirait peut-être pas en justice, attendu qu’elles n’avaient pas l’air d’être filles majeures.

Une autre fois, ma tante avait fait amener devant elle un vieux pâtre que tout le monde accusait de maléfices, et notamment d’avoir ensorcelé tous les moutons d’un vassal de l’abbaye. — Malheureux, lui dit ma tante, est-il possible que tu sois assez abandonné de Dieu, des Anges et des Saints, pour