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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

ment, que c’était le diable qui lui avait tordu le col[1].

  1. Il paraît que, depuis la révolution, le suicide est considéré dans un certain monde comme un exploit honorable et mémorable ! Quelque temps après le retour du Baron de Breteuil à Paris, lequel arrivait d’émigration, j’eus la contrariété de me rencontrer chez lui avec cette ingrate et indigne Mme Campan, qui avait eu la témérité, pour ne pas dire l’insolence, de se présenter chez cet ancien Ministre du Roi Louis XVI. Je la retrouvai là telle qu’elle avait toujours été dans son poste de femme de chambre de la Reine, c’est-à-dire, effarée, bourgeoise affectée, comédienne ignoble et maladroite. Elle se mit à raconter sensiblement la glorieuse et généreuse fin d’une de ses sœurs, qui s’était jetée par sa fenêtre afin de ne pas être condamnée par les tribunaux révolutionnaires, et pour empêcher son bien d’être confisqué : ce qui aurait occasionné la ruine de ses chers enfans, disait l’autre, avec un air de suffisance et d’admiration qui me parut d’un ridicule intolérable. — Mme Campan, lui dis-je, votre sœur aurait dû laisser à sa famille l’exemple d’une autre conduite et d’une résignation plus chrétienne. Je trouve que son affection pour ses enfans ne s’est manifestée que par une sorte de prévoyance bien matérielle, et si ses filles avaient toute autre envie que celle de se tuer par amour pour l’argent, qu’est-ce qu’elle aurait à leur faire dire, et qu’est-ce que vous leur pourriez dire en son nom ? Si vous parlez d’une action pareille avec approbation devant vos pensionnaires, cela doit faire de petites filles joliment élevées !… Elle me regarda, me reconnut et n’osa pas me répliquer.
    (Note de l’Auteur.)

    Sans vouloir établir et formuler une opinion sur la sévérité du jugement porté par l’auteur, on trouve effectivement dans les Mémoires de Mme Campan, qui n’ont été publiés qu’après la mort de Mme de Créquy, le même récit, avec les mêmes circonstances relatives à la mort de Mme Augué. On est obligé de convenir qu’elle y parle du suicide de sa sœur avec un ton de sensiblerie factice et d’admiration scandaleuse.

    (Note de l’Éditeur.)