Page:Créquy - Souvenirs, tome 10.djvu/227

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rant tout le chemin, il ne luy avoist pas dict une seule parole ; mais s’arrestant à cet endroict, il parla ainsy : — Reigniers, mon honneur et la bonne opinion que j’ay de ton courage m’ont empesché de te laisser oster la vie ; je ne suis pas homme à me venger sy laschement, ni ne veulx donner subject de penser que la crainte que j’aurozs eue de toy m’auroyt porté à te faire ou laisser assassiner. Maintenant que tu es en liberté, tu peux t’en ressentir, et me voilà prest à te satisfaire… À cela, Reigniers repartit : — Je n’en ay plus la volonté ni la force ! vostre générosité, quy m’a gagné le cœur, m’en a osté le courage. À quoy pourrois-je employer la vie que vous m’avez donnée, si non qu’à me revancher d’une sy haulte et doulce obligation ? Assurez-vous, Monsieur, que comme elle a esté à vostre discretion pleine et dans vos nobles mains huit jours durant, elle sera toujours à vostre service. Vous m’avez ammené jusqu’icy, mais je suis prest à vous suivre partout où il vous plaira me commander… Disant cecy la larme à l’œil, il s’approcha de Vesins pour l’embrasser ; mais se reculant sans adoulcir son visage, Vesins lui dict du même ton : — Il m’est indifférent que tu soys encore mon ennemy ou que tu deviennes mon amy ; tu vas décider à loysir lequel tu voudras estres ; et sans lui donner le temps de répliquer, il piqua des deux et le laissa là, ravy d’étonnement et de joye. Reigniers lui renvoya aussitôt son beau cheval avec un grand compliment, mais il ne voullut pas le reprendre. » Le prieur de Coulombières ajoute