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SOUVENIRS

Mme d’Egmont se trouvait mortellement contrariée par cette nouvelle injonction du Maréchal, et sitôt qu’il fut sorti pour s’en aller à Versailles, elle nous dit impatiemment que c’était une exigence inconcevable, et qu’elle en éprouvait toutes sortes d’ennui, d’abord à cause de la peine qu’elle aurait à s’empêcher de rire au nez de ce Vidame, auprès duquel elle allait se trouver dans la sotte position d’une grande Dame qui lui serait allée faire une espièglerie de petite fille, et surtout parce qu’elle ne pouvait se délivrer d’un pressentiment funeste, et qu’elle éprouvait une sorte d’effroi, de saisissement et d’appréhension lugubre, en pensant qu’elle allait être obligée de rentrer dans cet hôtel de Lusignan. Il me semble, disait-elle, que si je pouvais parler à ce malencontreux Vidame autre part que chez lui, je n’aurais pas la même inquiétude ; et vous savez que je n’ai jamais été trompée par mes pressentimens ! Enfin elle se monta si bien la tête et se trouva si bien pénétrée de cette contrariété qu’elle se mit à pleurer à chaudes larmes, et que je m’en fus trouver son mari qui était dans sa bibliothèque à feuilleter ses recueils de brefs et ses collections de bulles, avec ses dissertations sur les Décrétales et ses histoires des Conciles ; car c’était là son occupation continuelle.

J’aurais été la Gouvernante Marguerite d’Autriche, l’Infante Isabelle-Claire-Eugénie, Stathouderesse générale des Pays-Bas, et j’aurais même été Marie de Bourgogne, que M. d’Egmont n’appelait jamais autrement que Magna Maria, ce qu’il faisait en s’inclinant profondément (comme faisaient tou-