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Page:Créquy - Souvenirs, tome 2.djvu/37

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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

le Comte Antoine ; il avait fini par retrouver la raison, mais la plus faible contrariété lui portait ombrage ; la violence avait toujours couvé dans le fond de son caractère, et sa famille observait encore avec lui les ménagemens les plus lénitifs et les plus assidus.

Ce fut dans cette disposition-là qu’il s’échappa des Pays-Bas pour s’en venir à Paris, où du reste il avait des intérêts de fortune à régler pour une part dans la succession de la Princesse d’Épinoy ; ce qui lui valut de prime abord une grande maison sur le Quai des Théatins avec une belle terre en Picardie. Il s’était empressé de venir faire visite à votre grand-père qui le reçut très-poliment, mais qui ne voulut pas me le présenter, parce qu’il ne nous apportait point de lettres de son frère aîné. Nos frères et nos maris l’aimaient beaucoup et lui donnaient dans leurs appartemens les plus jolis soupers du monde ; ils le conduisaient dans leurs loges à tous les spectacles mais nous ne le rencontrions jamais que dans les églises, où il venait régulièrement assister à notre sortie pour se faire nommer et désigner les personnes qu’il ne connaissait pas. Il était impossible de ne pas le remarquer dans la haie qui se formait sur notre passage, et ne fut-ce qu’à raison de sa taille. Il était régulièrement beau quoique fort pâle ; il avait des yeux ardens comme l’enfer, et dont nous avions peine à soutenir la témérité. On savait qu’il était en plein rapport de connaissance intime avec Mesdames de Parabère et de Lussan, de Plénœuf et de Prie, ce qui donnait matière à des lamentations charitables