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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

pouvoir douter que le juif était mort, et que le Comte de Horn était convenu de l’avoir frappé d’un coup de couteau. La consternation fut grande, et l’on agita si l’on irait avant toute chose en parler à M. le Régent, ce qui ne fut pas adopté. On décida qu’il fallait commencer par solliciter les magistrats, à qui l’on eut soin de faire connaître l’extraction, la maladie, le caractère et les malheureux antécédens du Comte de Horn. La veille de son jugement, nous nous rendîmes en corps, à titre de parens de l’accusé, et au nombre de 57 personnes assez considérables, ainsi que vous allez voir, dans un long corridor du Palais qui conduisait à la chambre où se tenait la Tournelle, afin d’y saluer les juges à leur passage. Ce fut une triste chose pour moi ; tout le monde en avait bon espoir, à l’exception de Mme de Bauffremont qui était encore une autre femme à seconde vue, comme on dit en Écosse, et nous en éprouvions toutes les deux un pressentiment sinistre avec un serrement de cœur affreux.

Je m’empresserai de vous dire en courant que cette action d’aller saluer les juges était une étrange cérémonie. Ceux-ci nous avaient attendus dans le cabinet de Saint Louis, afin de se trouver réunis pour recevoir nos salutations qu’ils nous rendirent en défilant devant nous et faisant à chacune et chacun de nous une profonde révérence à la manière des femmes ; et je dois ajouter que la coutume a toujours obligé les hommes de robe à saluer ainsi quand ils se trouvent en habit long. Il en est également pour les Chevaliers du Saint-Esprit sous le manteau ; ce qui déterminait toujours les pères et