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SOUVENIRS

d’incohérence avec une animation fébrile. — Mes réponses ont dû s’en ressentir, disait-il, et ce ne sont pas mes juges qui répondront devant Dieu de ma condamnation… Il fit promettre ces deux messieurs d’aller voir son frère, afin de lui témoigner qu’il était mort en protestant de son innocence, et qu’il était mort en bon chrétien. Du reste, il n’était pas fâché de mourir : voilà ce qu’il a répété cinq à six fois devant ses deux cousins sans jamais dire pourquoi ni comment ? Il y avait quelque chose de fatidique et de mystérieux dans l’ame de ce jeune homme : c’était comme dans sa figure et sa destinée !

M. de Créquy s’en fut trouver le bourreau de Paris qui logeait à la Villette, afin de lui recommander le patient du lendemain. — Ne le faites pas souffrir, lui dit-il, ne lui découvrez que le col, et précautionnez-vous d’un cercueil de bonne fabrique où j’irai faire ensevelir son corps avant de le conduire à sa famille. Le bourreau promit de le traiter avec tous les ménagements possibles, et lorsque votre grand-père voulut lui faire prendre un rouleau de cent louis d’or, il ne le put jamais. — Je suis payé par le Roi pour remplir mon office, répondit cet exécuteur de la haute justice humaine. — Ah oui, mon Enfant, de la haute justice et de la plus haute œuvre, en vérité, quand il est question de mettre à mort une créature de Dieu ! un si beau jeune homme, un pécheur,… un prince !…

Le bourreau dit encore à mon mari qu’il avait refusé précisément la même somme, qu’on avait entrepris de lui faire accepter, il y avait deux jours, avec la même intention pour la même personne.