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SOUVENIRS

seau nous dit que celui qu’il lisait et relisait continuellement avec un nouveau plaisir, était intitulé Le Diacre Agapet, touchant les devoirs et les droits d’un Empereur. Nous eûmes la curiosité de connaître cet ouvrage de prédilection pour Cartouche, et nous trouvâmes, Mme de Bauffremont et moi, que c’était le plus fade et le plus assommant bouquin du moyen-âge, dont l’ennuyeux traducteur est un Carme appelé Jean Cartigny. Vous trouverez ce même volume dans ma bibliothèque, et vous y verrez sur presque toutes les marges des règles d’arithmétique, avec de petits bons-hommes à la plume et des signatures de Cartouche avec paraphe. Nous n’avons jamais pu nous expliquer le genre de plaisir qu’un pareil homme avait pu trouver à la lecture d’un pareil ouvrage.

La seule chose remarquable qui nous soit arrivée en traversant la France pour aller en Italie par Monaco, ce fut en nous promenant sur le port de Toulon. On y menait à la potence un faux-monnoyeur qui s’arrêta pour regarder M. de Créquy, et qui s’écria qu’il avait à lui dire quelque chose de très important pour le service du Roi. Il ajouta qu’il ne voulait la révéler qu’à mon mari, lequel avait commandé pendant long-temps à Toulon où il était idolâtré soit dit sans métaphore. M. de Créquy me parut d’abord un peu surpris ; ensuite il me dit à l’oreille qu’il ne croyait rien de tout cela, mais qu’il ne voulait pas refuser. On fait éloigner la foule, et me voilà qui m’accroche au bras de votre grand-père afin de ne pas rester toute seule au milieu de cette population cuivrée, déguenillée,