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SOUVENIRS

et, sur la demande de Sa Majesté, Mme de Pompadour alla se mettre à son clavecin.

— Je donnerais je ne sais pas quoi pour avoir le plaisir de l’entendre vous tutoyer, vint me dire le Maréchal de Richelieu.

— Elle n’est Grande d’Espagne que de la troisième classe : ainsi vous n’aurez pas ce divertissement-là ; allez vous promener, lui répondis-je. Ne venez pas me faire perdre contenance, et laissez-moi tranquille.

Le Maréchal de Richelieu s’en fut à l’autre bout du cabinet, où toute la compagnie se tenait groupée non loin du clavecin, pour être à portée de Sa Majesté. Je n’avais pas manqué de me lever parce que le Roi n’était plus assis ; mais je restai de pied ferme à la même place, et voilà que j’entendis chanter par Mme de Pompadour :

 
« Ah ! que ma voix me devient chère
« Depuis que mon berger se plaît à l’écouter !

Ceci me parut avoir une intention de galanterie tellement directe et tellement déplacée devant moi que j’en fus troublée, honteuse, et que j’en devins toute refrognée, suivant l’expression du Richelieu.

Le Roi sembla prendre garde à mon air de sécheresse, et je ne m’en étourdis pas le moins du monde. À peine Mme de Pompadour eut-elle achevé ses applications galantes et son ariette d’Irphise, que je m’avançai pour faire à Sa Majesté mes révérences à reculons, comme si c’était d’un cabinet du Roi que j’allasse sortir : je me retirai sans dire une