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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

plus éclairé, le protecteur le plus généreux des arts libéraux. Une élévation subite et la splendeur d’une opulence effrénée n’avaient pu dénaturer la rectitude de son jugement, la candeur de sa belle âme et la simplicité de son excellent cœur. Il avait traversé la vie et la faveur avec une sorte d’embarras si fier, avec un front si calme et si triste, avec un sourire de dédain mêlé de pitié pour les adulations dont il entendait accabler sa sœur ! Long-temps après la mort de celle-ci, je l’ai vu rougir (à soixante ans), rougir de pudeur et de honte ! je l’ai vu tressaillir et pâlir quand il entendait parler des Ducs d’Estrées, de la Vallière et d’Antin, à cause de l’origine de leur fortune. Je disais toujours qu’il me rappelait la source Aréthuse, et que s’il avait été naïade ou fontaine, il aurait pu traverser les mers de Sicile sans participer à leur amertume et sans altérer la pureté de ses eaux. L’expérience ne refroidit que les âmes tièdes, le malheur ne saurait dessécher que les cœurs secs, et j’ai toujours remarqué que la prospérité n’endurcissait que les cœurs durs.

Ce n’était pourtant pas que M. de Marigny fût parfait ; il était mélancolique, ombrageux et terriblement susceptible. Il était d’une sécheresse admirablement persistante avec les personnes de grande qualité. Nous avions eu de la peine à l’apprivoiser, votre grand-père et moi ; mais il avait fini par avoir pour nous les sentimens d’un fils, et c’était pleine justice, attendu que nous l’aimions parfaitement.

Protecteur du célèbre Soufflot, c’est à lui qu’on doit attribuer les principaux embellissemens de cette capitale, les plans de la nouvelle église Sainte-Ge-