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SOUVENIRS

d’un simple soldat ; mais sa physionomie spirituelle et passionnée, sa tournure élégante et sa coiffure à la Létorières, auraient pleinement satisfait l’amour-propre ou la fatuité du grand seigneur le plus vaniteux. Vous vous doutez bien quel était ce jeune homme ; mais comme je ne pensais pas continuellement à M. de Guys et que je ne rêvai jamais de M. de Gisors, je ne fus pas frappée de leur ressemblance au premier aspect.

Je jetai les yeux sur Mme d’Egmont, à qui je ne pouvais rien dire à l’oreille, à cause de nos paniers et de la ruelle d’étiquette entre nos tabourets… la pauvre femme était dans un trouble visible ; elle avait les yeux fixes, elle tenait son visage à moitié caché par un éventail (au mépris de l’étiquette de Versailles, car alors on ne prenait jamais la liberté d’ouvrir son éventail en présence de la Reine, à moins que ce ne fût pour en user en guise de soucoupe et pour présenter quelque chose à S. M.). En attendant, le beau jeune homme en habit de soldat était immobile, en arrêt, en contemplation sévère et non pas seulement en admiration pure et simple devant la belle dame aux hyacinthes. Sans autrement s’embarrasser de la présence du Roi, et sans prendre garde à M. l’Exempt qui lui commandait de passer outre et de ne pas s’opiniâtrer à barrer l’entrée de la salle où son temps d’arrêt interrompait la marche du public et le service de MM. les gardes-du-corps, il était préoccupé de je ne sais quelle idée contrariante, il n’écoutait pas et n’entendait rien. On fut obligé de l’arracher de la salle, et Mme d’Egmont ne put s’empêcher de