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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

toujours à la malignité. La Maréchale était la vertu même : on attribua cet unique faux pas dans sa démarche à la douceur et la faiblesse de son caractère ; mais il est à remarquer que ce fut la seule dévote à qui l’on eut à reprocher un pareil acte de complaisance.

M. Laharpe avait fait jouer mille ressorts pour être admis à faire une lecture en présence de Mme la Comtesse. M. de Brissac arrangea cette grande affaire, et Laharpe arriva chez elle, une de ses tragédies à la main ; c’était les Barmécides, et Mme du Barry commença par s’écrier dès la première scène : — Ah ! que c’est beau ! comme c’est beau ! que c’est donc beau !!! Mais avant la fin du premier acte, elle se mit à bailler comme une huître. Ensuite elle interrompit la lecture en disant qu’elle serait bien aise de revoir quelque chose sur le cahier… Elle y jeta les yeux, toujours en bâillant : — Ayez la complaisance de me lire seulement les dernières scènes, dit-elle à M. Laharpe en lui rendant son manuscrit avec un aimable sourire… Figurez-vous l’humiliation de ce vaniteux personnage et la colère de ce poète irascible !

Ceci me rappelle une autre lecture qui avait pensé brouiller Voltaire avec Mme de St.-Jullien, laquelle était beaucoup plus occupée du souper qu’elle devait nous donner que de la tragédie de Tancrède. Un valet de chambre était arrivé sur la pointe du pied pour attiser le feu, et pendant qu’il était baissé auprès de sa maîtresse, on entendit qu’elle lui disait à l’oreille : — A-t-on pu se procurer des oreilles de sanglier ? — Ah ! tant mieux, j’en suis