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SOUVENIRS

ajouter supplier, de venir passer trois mois d’hiver à l’hôtel de Créquy ; elle me répondait avec Frère Jean : — Bienheureux celui qui se tient sur le plancher des vaches ! quand il a un pied à terre, l’autre n’en est pas loin. Mais je vous dirai mieux : c’est qu’elle n’avait pas voulu recevoir la prébende et la croix du grand chapitre de Maubeuge, où ses preuves de noblesse étaient admises, attendu qu’il aurait fallu partir en voiture pour arriver jusqu’en Lorraine, et que son pauvre cœur en palpitait d’effroi. Nous nous écrivions souvent.

Mon temps d’arrêt ne fut pourtant pas tout-à-fait sans résultat dans cette petite ville, où M. le Chevalier de Créquy avait élu son domicile à cause du bon marché des comestibles et du bas prix des combustibles apparemment[1]. Je le vis pendant cinq à six minutes, et ce fut bien assez ; mais on m’en rapporta mille choses de ladrerie qui m’auraient fait rougir s’il n’avait pas été bâtard. Il avait patrimonialement, et sans compter ses appointemens de colonel, trente-six mille livres de rente, et le vilain n’allait jamais que par les voitures publiques, où son bel air de galanterie le faisait émerillonner auprès des belles du coche, en tout bien tout honneur et sans bourse délier s’entend ; car c’était là tout ce qu’il fallait à ce grippe-sou. Imaginez qu’il était allé chercher lui-même une vieille carcasse de berline qu’il avait fait remiser, il y avait cinq ou six ans, chez l’Évêque de Chartres, et qu’après la première poste, il se fit traîner, jusqu’à l’avant-dernier

  1. Voyez, sur ce personnage, la note de l’auteur, Tom. IV, chap. 7, page 155.