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SOUVENIRS

un gros pansu qui vous parlait tout uniment des flammes et des feux d’amour, à dix-huit ans, comme il aurait fait des glaces du pôle antarctique ou de la frigidité de la lune. Apprêté (sans aucune autre aorte d’arrangement), il était suffisamment personnel et singulièrement passionné ; il était formaliste et cynique. Enfin c’était un drôle de jeune prince, et j’avais pris la liberté de dire qu’il y avait en lui de la vieille femme et du chapon, du Fils de France et de l’homme de collége. Il a toujours eu l’aversion la plus décidée pour la famille d’Orléans ; et j’ai toujours remarqué qu’il était plus judicieux dans ses aversions que dans ses affections. Il a toujours été libéral et magnifique : il aime à donner, et c’est peut-être la principale de ses qualités royales ; mais il aime à donner avec ostentation, avec un éclat qui frise le scandale, et de manière à faire supposer qu’il ne donne rien pour rien. C’est un calcul, une affectation vaniteuse ; et Dieu sait combien la générosité de ce Prince a toujours été gratuite !

Monsieur, Comte de Provence, avait toujours pris plaisir à se moquer du monde ; mais, comme il ne pouvait se moquer ouvertement de ses officiers ni des autres courtisans, parce que le Roi son grand-père et le Roi son frère aîné ne l’auraient pas souffert il se moquait du public autant qu’il pouvait. Il avait d’abord entrepris de mystifier les abonnés du Mercure de France en y faisant insérer des logogriphes et des enigmes sans mot ; mais, si les Œdipe de la province et de l’île Saint-Louis s’en rebutèrent, ce fut sans en rien dire ; et, comme il ne s’ensuivit ni discussions ni contestations, ce fut Monsieur qui s’en