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SOUVENIRS

et qui s’écoute parler du haut du nez. Ils parlent ordinairement tous les deux ensemble, et c’est avec le même son de voix, de ces voix obtuses et maussadement obstruées, comme si l’on était enrhubé tu cerfeau. Quand ils ne parlent pas cuisine, assignats ou tiers consolidé, et ceci n’arrive pas souvent, c’est pour se faire valoir l’un par l’autre qu’ils vous parlent l’un de l’autre, et c’est pour vous réciter toutes les pelles chausse qu’ils se sont tites. Par exemple, Mme  de Cossé vous expliquera comment son mari disait un jour à propos de la révolution, que c’était un orage dévastateur, et la voilà qui s’extasie d’admiration ! Mais pendant ce temps-là, M. de Cossé racontait à son voisin comme quoi Mme  la Comtesse Zéphyre d’Orléans-Rothelin avait dit, long-temps avant leur mariage (et long-temps après Voltaire), qu’une traduction n’est jamais que le revers d’une tapisserie : Il se transporte, il en éclate, il en trépigne, il se pâme ! Quand on a le malheur de les avoir à dîner chez soi, ils commencent par regarder sur la table, et se concerter à voix basse avant de s’asseoir, et je vous assure que c’est avec un air affairé, scrutateur et sévère. Ensuite, ils se recommandent ou s’interdisent les plats qui sont à leur portée, en motivant leurs jugemens et se parlant d’un bout de la table à l’autre.

— Mon Dieu ! Monsieur de Cossé, ne mangez donc pas du saumon, vous savez bien qu’il ne vous réussit pas !

— Ma toujours bonne, aimable et attentive, lui riposte son bossu, qui lui fait des mines de fidèle berger, je vous rends cent mille grâces ! et il renonce