Page:Créquy - Souvenirs, tome 6.djvu/60

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aller voir, on apprit qu’il était parti pour Ermenonville, où les Girardin avaient fait disposer un logement pour lui dans un bâtiment de service attenant à leur château. Il était logé fort à l’étroit, m’écrivait-il au bout de six mois ; et, sur toute chose, il était incommodé par l’humidité de sa chambre et par le voisinage de la basse-cour.

J’appris sa mort inopinément, en sortant de la messe, aux Jacobins, et ce fut par Mme de Tingry qui ne ménagea pas les termes[1]. Je lui dis de me laisser rentrer dans l’église afin d’y prier le bon Dieu pour ce pauvre philosophe, et je ne pouvais m’empêcher d’y larmoyer sous mon coqueluchon. Il était mort le 2 juillet 1778, environ six semaines après Voltaire, et ce fut par un coup d’apoplexie, en rentrant de la promenade, et vers onze heures du matin. Il était né le 28 juin 1712, à Genève, ou son père était horloger-mécanicien. Il a laissé des Mémoires, où, ce me semble, il y aurait beaucoup de retranchements à faire pour l’honneur de sa réputation mais il était devenu si bizarrement fou, qu’il ne m’est pas démontré que tout ce qu’il y dit contre lui soit exactement vrai. Il avait, sur une vilaine histoire de sa jeunesse, plusieurs versions de rechange, et je ne sais à laquelle de ces deux ou trois variantes il se sera définitivement arrêté ? Quand il en relisait devant moi des paragraphes et

  1. A. J. des Laurens, marié en 1769 à Joseph-Maurice-Annibal de Montmorency-Bouteville, Prince de Tingry, Marquis de Breval et Comte de Beaumont. Il était stupide au point d’en impatienter sa femme, et c’est beaucoup dire.
    (Note de l’Auteur.)