Page:Créquy - Souvenirs, tome 8.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Vous serez bien avancée quand vous aurez fait rougir Roberspierre, et c’est un fameux dédommagement que vous poursuivez-la ! Sachez donc que tout le monde a remarqué, dans les prisons, que le meilleur moyen d’être expédié subitement pour la guillotine est de lui écrire et d’attirer son attention, n’importe comment. Je pourrais vous en citer vingt exemples, à commencer par celui du Prince de Salm, qui ne voulut écouter personne, qui écrivit à Roberspierre avec une humilité qu’on pourrait appeler de la bassesse, et qui fut désigné pour l’échafaud deux jours après. Jugez ce qui vous arriverait à la suite d’une lettre de reproches ; et pour l’amour de Dieu, tenez-vous tranquille !

— Vous êtes une femme supérieure, me dit-elle avec un air de protection, je parlerai de vous dans mes Mémoires !

— Voulez-vous me rendre un service et me faire un plaisir ? lui répondis-je, en y mettant l’accent d’une gravité sévère et solennelle.

— Sans aucun doute, Citoyenne !

— Ne parlez pas de moi dans vos Mémoires, et n’écrivez pas une lettre de mon nom sur vos papiers qui peuvent être saisis d’une minute à l’autre par les commissaires de sûreté générale ou de salut public.

— Vous craignez la mort ! reprit-elle avec une sorte d’ironie farouche et je ne sais quel air de mépris.

— Je n’ai rien à vous dire et vous confier là-dessus ; soyez téméraire autant que vous le voudrez pour votre propre compte ; mais ne faites pas si bon mar-